Les années noires !
Durant la décennie "quatre-vingts", le Cabaret Wallon Tournaisien va vivre des heures douloureuses avec la perte de nombreux membres.
Albert Coens a laissé des œuvres immortelles.
La dernière fois que j'ai eu l'occasion de converser avec Albert Coens, c'était durant la saison 1983-1984, dans le cadre d'activités footballistiques, à la buvette du terrain B du Racing situé alors au Vert Bocage. C'était quelques mois avant son départ inopiné et rien ne laissait imaginer celui-ci. Il savait que mes préférences penchaient vers les "Rouge et Vert" de l'Union, lui le Racingman convaincu, mais cela n'avait jamais entaché des relations plus que cordiales que nous entretenions lors de nos (trop) rares rencontres. Albert Coens était né à Tournai, le 2 octobre 1926. En 1948, il avait été lauréat du Concours Adolphe Prayez. Il possédait aussi un prix d'excellence de la Classe d'Art dramatique du Conservatoire de Tournai, une maison qu'il connaissait bien puisqu'il en était le Secrétaire tout comme Walter Duvellier le fut. Entré au Cabaret où il restera de 1949 à 1975, il fit les belles soirées de la troupe patoisante tournaisienne grâce à ses multiples talents de poète, chansonnier, auteur de sketches, metteur en scène, régisseur.... Perfectionniste, il en est rapidement devenu une des figures de proue. Sa chanson "L'lapin du Lindi perdu" restera un classique de cette fête tournaisienne du début janvier tandis que son poème "Si..." reprend à lui seul les qualités souhaitées pour entrer dans la Royale Compagnie. On se rappelle le personnage truculent de paysan qu'il a interprété au sein d'une revue, adressant sa "Lette à Moneonque Michel", déclaration contre la fusion des communes dite avec cet humour dont il avait le secret. Ce membre-fondateur de la gazette "Les Infants d'Tournai" dans lequel il écrivait sous le pseudonyme de Titisse, quitta malheureusement le ponton en 1976. Le 30 avril 1984, la rumeur se répandit dans toute la ville, Albert Coens était décédé inopinément. Il n'avait que 57 ans !
Le 3 juillet 1984 disparaît Richard Leclaire, autre figure marquante du Cabaret.
Richard Leclaire est né à Tournai le 7 juin 1921. En 1956 et 1957, il sera lauréat du Concours Prayez, voie obligée pour frapper à la porte du Cabaret. A l'image de Marcel Roland, il exerçait sa profession dans le monde de la finance puisqu'il était le Directeur de la Caisse d'Epargne de Tournai, une institution aujourd'hui disparue. Il est entré au Cabaret en 1958. Au-delà de ses chansons à succès comme "L'Disco", "Rayon d'Solel", "Si cha s'reot à r'faire" (primée au Concours Prayez) ou "L'planque à roulettes", Richard Leclaire était également auteur de sketches diffusés dans les émissions dialectales de Radio-Hainaut et collaborateur de la gazette "Les Infants d'Tournai" où il publiait des billets sous les pseudonymes de Chapic et Ketsu. En 1968, il créa avec Jean Leclercq, ce qui devint une institution au sein de la compagnie: "L'journal canté", un exercice en duo reprenant, sur un ton humoristique, les faits d'actualité qui se sont déroulés entre deux rendez-vous avec leur public des chansonniers tournaisiens. Avec son épouse, il composa des duos dont les spectateurs se souviennent au sein des revues. Le 3 juillet 1984, deux mois après Albert Coens, le Cabaret perdait un nouveau membre. Richard Leclaire venait de fêter ses 63 ans !
1984 : Lucien Feron fait son entrée au Cabaret, il a choisi pour parrains Réne Godet (à gauche) et Jean-Pierre Verbeke (à droite).
Lucien Feron est né à l'ombre du clocher de Saint-Piat, le 16 septembre 1939. De cette enfance dans ce quartier typique de la cité des cinq clochers, il avait conservé l'esprit frondeur du "p'tit rambile", expression par laquelle on désigne le titi tournaisien. Lauréat à de nombreuses reprises au concours Prayez durnt trois années consécutives, Lucien Feron entre au Cabaret comme aspirant en 1984. On ne compte pas ses succès qui vont déclencher les rires des spectateurs, ils prennent une place de choix dans la collection des œuvres léguées par les chansonniers tournaisiens. "L'cyclotourisse", est un portrait de ces cyclistes du dimanche dont certains se prennent pour des champions de la "petite reine" tandis que d'autres terminent leurs randonnées en "rois des comptoirs". Sa "Lette à Matante Bertha" est une évocation des multiples problèmes tragi-comiques rencontrés lors d'une hospitalisation (des propos toujours d'actualité !). "Chez Meura, i-a vingtans", est une description précise et emprunte d'émotion du travail des ouvriers métallurgistes qui ont consacré leur carrière et leur vie à faire la renommée d'un fleuron de l'industrie tournaisienne qui venait juste de disparaître. "Quand les lilas fleurissent" contient une brassée de souvenirs personnels dont le personnage central est cette maman qu'il aimait tant et qu'il avait perdue. "Bonheomme" traduit aussi le côté tendre de l'auteur. Cet Habitant la rue Roc Saint-Nicaise, vaincu par un mal implacable, est décédé le 20 octobre 1994. Lucien Feron venait de fêter ses 55 ans !
Lucien Feron (2ème à partir de la gauche) est devenu membre à titre définitif en septembre 1985. On le voit avec les lauréats du concours Prayez. Il était rare à l'époque de voir figurer une représente féminine au palmarès, cet honneur échoit à Josette Lambreth d'Hérinnes, une excellente plume patoisante régionale. Parmi les primés, on reconnaît également deux futurs membres du Cabaret, Rudy Sainlez (le "barbu" au centre) et Max François (le "moustachu").
Durant cette décennie, la "grande faucheuse" ne semble vouloir pas lâcher la Royale Compagnie. En 1986 disparaît Edmond Roberte.
Edmond Roberte est né à Maubray, le 18 mars 1920. Il travaillait à Tournai, au sein de la société Electrabel. En 1963, il est primé au Concours Prayez et il entre au Cabaret en 1965. Ses origines villageoises le désignaient sous l'expression "L'paysan du Cabaret". En plus de ses talents de chansonnier et de comédien, il est aussi un excellent musicien, organiste de l'église de son village natal. Il démontrera ses qualités musicales en accompagnant, à l'occasion, Anselme Dachy au piano à quatre mains. Auteur de sketches pour les émissions dialectales de Radio-Hainaut, collaborateur de la gazette "Les Infants d'Tournai" où il publie ses billets sous le pseudonyme d'E. Du Clair, il est également le créateur d'une opérette (aujourd'hui, on parlerait de comédie musicale) intitulée "In Piste !" sur une musique d'Anselme Dachy. On ne compte plus les succès d'Edmeond Roberte, chacune de ses apparitions étaient attendues avec impatience par les spectateurs. On retiendra en particulier : son imitation de Tino Rossi dans sa chanson "Orfroidiss'mint" (sur l'air de Tchi Tchi), "L'organiste", un auto-portrait tout en dérision, "Pianiste", un hommage à ces virtuoses du piano. "L'piston" est un autre de ses très nombreux succès. On le voit encore en sonneur de cloches avec son comparse Richard Leclaire au sein d'une revue. On se rappelle sa reprise du rôle créé par Albert Coens, coincé au volant d'une 2CV à la porte du "Bar des Cigales". On se souvient encore de ce plombier un peu naïf au sein d'une maternité dont un accouchement est marqué par un énorme quiproquo. En me rencontrant, il m'avait un jour déclaré : "Voici l'homme que je croise le vendredi mais que je ne vois jamais", l'explication de ces mots est simple : lui prenait l'autoroute entre Maubray et Tournai (pour assister aux réunions du Cabaret), tandis que qu'au même moment, je faisais la route inverse pour me rendre au cercle Montbrétia duquel j'étais membre. Amoureux de la nature, c'est alors qu'il était occupé à jardiner que, le 12 mai 1986, il est tombé, terrassé par un infarctus. Lui aussi n'avait que 66 ans !
Eric Genty, lauréat au concours Prayez de 1987, entre au Cabaret.
La réputation du nouveau membre du Cabaret, entré en 1987, n'était plus à faire. Eric Genty est né à Orléans (F), le 16 octobre 1926, et est arrivé en Belgique à l'âge de 22 ans. Dans ce pays d'adoption, il demandera et obtiendra sa naturalisation. Durant les années soixante et septante, les Tournaisiens le rencontraient dans son magasin de la Grand-Place, à l'enseigne de "Tournai-Disques". Nul n'ignorait alors qu'il était le chanteur de l'orchestre d'Hector Delfosse et la plupart avaient certainement déjà fredonné une de ses chansons : "Le petit chapeau tyrolien", "Ah, si j'étais resté célibataire !", "Oh lala Louise", des succès qui faisaient la joie des réunions de famille ou des banquets de société. Son plus gros succès, celui qui le fera connaître par-delà les frontières, reste "La danse des canards", succès inusable et connu dans tout le monde francophone, interprété par J.J. Lionel, une chanson dont il écrivit les paroles sous le pseudonyme de Guy de Paris. Lorsqu'il entre au Cabaret, il exerce la fonction de huissier à l'Hôtel de Ville. Il fera d'ailleurs une chanson décrivant cette activité professionnelle pleine d'inattendus. On lui doit également "J'décatis, Katy", "Ch'est m'ville", "Mi,j'ai wardé". Eric Genty quittera le Cabaret en juillet 2000.
"La chanson des Cinq" termine traditionnellement les séances de Cabaret. On reconnaît sur la photo (de gauche à droite) : Eloi Baudimont - Marcel Roland - Jean-Pierre Verbeke - Ghislain Perron et Jean Leclercq. Cette photo date de 1988, tous sont aujourd'hui disparus.
1907-1987, le Cabaret est devenu un alerte octogénaire, mais il est... toujours vert.
(sources : "Florilège du Cabaret", un ouvrage paru en 1982 à l'occasion du 75ème anniversaire de la Royale Compagnie - "Chint ans d'Cabaret" de Paul Wacheul, un ouvrage paru en 2007 - souvenirs personnels de rencontres avec les chansonniers évoqués - documents photographiques : archives de la presse locale - remerciement à Jean-Paul Foucart).