"Tournai in Fiête" ou l'raminvrance (souvenir) d'un bon vieux temps.
"Chaque année, l'automne nous ramène...", j'ai presque l'impression, en débutant cet article, d'entamer la chanson "Orfroidiss'mint" (refroidissement) d'Edmond Roberte. En effet, chaque année, la morte saison nous ramène, en la Maison de la Culture, le grand Cabaret de la Royale Compagnie du Cabaret Wallon Tournaisien. "Cette fois, Tournai in Fiête" en était le titre.
Ce samedi 31 octobre, les joyeux défenseurs du patois tournaisien, avaient convié leurs amis à la 1057e séance organisée depuis la création, en 1907, de cette troupe de chansonniers.
Cette édition 2015 a été marquée par le plus pur respect de la tradition car les spectateurs ont eu droit à une séance de Cabaret en première partie et à une revue-souvenir après l'entracte.
Afin de laisser, comme elle le fut pour nous, la surprise aux prochains participants, je m'en voudrais de dévoiler, en détail, le programme des chansons et monologues interprétés par les 13 membres présents dont l'accompagnateur virtuose Philippe De Smet (voir l'article que nous lui avons consacré récemment). Dans un programme extrêmement bien équilibré entre rires, sourires et émotions, j'ai tenté de reconstituer l'intervention de chacun. Je ne veux cependant pas faire une confiance exagérée à une mémoire qui me joue parfois de mauvais tours (privilège de l'âge dit-on) et à un programme qui lui m'a joué un "très" vilain tour !
Le cabaret traditionnel.
C'est au dernier entré au sein de la compagnie, Georges Vico, qu'échoit la difficile mission d'ouvrir le ban et de chauffer la salle. Prestation totalement réussie puisque sa chanson décrivait, au mieux, ce travail de créateur de chansons écrites bien souvent sur les "airs populaires".
Comme à son habitude, Claude Delonville, par petites touches successives, le plus souvent empruntes d'une poésie sous-jacente, nous conte la mésaventure qui serait survenue à un des membres de la compagnie tout surpris d'apprendre, au fil du monologue, autant de détails sur sa vie. De qui évoque-t-il ce moment pénible ? Qui était la victime de cette mise en boite ? Vous le saurez en allant voir les représentations qui se dérouleront les samedi 7 et dimanche 8 à 16h.
Luc Feron a une voix qui porte et un dynamisme à tout épreuve. Ses textes qu'il fait vivre par le geste et les mimiques, sont très travaillés, celui qu'il nous présenta hier surfa entre rire, sourire mais aussi émotion. Les applaudissements qui clôturèrent sa prestation en disent long sur l'adhésion du public à ses propos qui sonnent justes. Le fils de Lucien Feron marche sur les traces de son regretté père et a trouvé ses marques au sein du Cabaret.
Et les chansonniers se succédent.
Dany Batteauw nous remémore les kermesses d'antan qui se déroulaient sur la Grand-Place, la place de Lille et le place Reine Astrid, dans une chanson où se mêlent images d'un temps aujourd'hui révolu et nostalgie de ces bons moments rangés, depuis plus d'une décennie, dans le tiroir des souvenirs. La kermesse sur la plaine n'a jamais eu vraiment la cote, personne ne le contestera ! Les commentaires dans la salle allaient d'ailleurs en ce sens !
Fin observateur, Bernard Clément a probablement puisé son inspiration en "lusotant" (flânant) par les rues de notre cité et en examinant soigneusement ses petits pavés contre lesquels pestent de très nombreux automobilistes surtout quand ce revêtement routier a malheureusement tendance à jouer les filles de l'air ou à s'effondrer sous le passage répété des véhicules.
Michel Derache remet au goût du jour, une chanson de Charles Maillet sur un sujet qui agitait déjà la population, il y a plus de 65 ans. Le dernier refrain repris en chœur par la troupe n'a subi aucune modification prouvant ainsi qu'à Tournai, les "cosses passent et rapassent" (les choses passent et repassent) mais aussi que l'histoire nous ressert bien souvent les mêmes plats.
Dans sa lettre à un cousin établi dans le Midi de la France, Pascal Winberg détaille l'actualité tournaisienne, c'est à la fois comique, caustique, ironique, tragique mais avant tout véridique. Le public a partagé pleinement son analyse et l'a rappelé au micro.
Pierre Vanden Broecke rencontre un "leuger" (léger) litige avec sa diététicienne, il nous justifie les raisons pour lesquelles son régime est si difficile à respecter et, à la fin de la chanson, on a presqu'envie de lui donner raison tant il nous a mis... l'eau à la bouche. De plus, il a oublié de nous rappeler qu'il "rasine" (racle le plat jusqu'au dernier morceau).
Gery Derasse nage en plein dans l'actualité puisqu'il nous conte les toutes dernières péripéties du Pont des Trous.
En parlant de trou, ma mémoire en possède deux sérieux, je suis dans l'impossibilité de me rappeler les chansons interprétées par Christian Bridoux, le Président de la Royale Compagnie et par Jean-Marc Foucart (voir les articles qui leur ont été consacré). Pour la première fois, le programme ne vient pas à mon aide puisque les titres des œuvres interprétées en cette première partie n'y sont pas détaillés. Les chansonniers ont probablement voulu coller le plus possible à l'actualité. Si vous voulez satisfaire votre légitime curiosité, rendez-vous au prochain spectacle.
Dernier a passer, Vincent Brackelaere introduit la seconde partie consacrée à "l'raminvrance" (au souvenir) des meilleurs moments des revues écrites par Albert Coens et Eloi Baudimont. Il interprète, de façon magistrale,"Eine partie d'fier". Comme lui, on avait envie de dire : "Patronne, mettez deux verres" mais çà, c'est une autre histoire que d'approcher du comptoir du bar de la Maison de la Culture.
L'Orvue (la revue).
La seconde partie débute après un entracte d'une bonne demi-heure, le temps nécessaire et juste suffisant pour désaltérer des gosiers qui allaient être mis à contribution lors de cette seconde partie. Les gens prennent place en dernière minute et justifient ainsi la constatation faite depuis bien longtemps déjà : "ce sont toujours les personnes assises au centre des rangées qui arrivent les dernières et font mettre les autres au garde-à-vous pour rejoindre leur fauteuil".
Les sketches ont simplement été remis au goût du jour, sans qu'ils soient pour cela dénaturés.
Deux "séniors "sur un banc (Michel Derache et Jean-Michel Carpentier) se souviennent des années déjà lointaines et des revues écrites avec la verve sans pareille d'Albert et Eloi. Ils nous proposent quelques morceaux d'anthologie : "Nordisses et Sudisses", "Lette auMinisse" (Ministre), "Au relais d'la Puce", "Dehors tra la la", la grande évasion à la mode tournaisienne, "A l'maternité", "l'année d'la femme" et "Ah ! ces feimmes".
Disons le tout net, non seulement les sketches n'ont pas pris une seule ride mais l'interprétation de chacun fut tout simplement remarquable. Les rires incessants qui fusèrent en furent le meilleur témoignage.
Dans "L'Relais d'la Puce", Christian Bridoux a des accents d'Edmond Roberte et Jean-Marc Foucart nous remémore la voix gouailleuse d'Albert Coens. Pierre Vanden Broecke succède avec brio à Robert Léonard "A la maternité" tandis que Vincent Brackelaere, une fois encore, recompose, au plus juste, le rôle tenu par Albert Coens dans la version originale. Est-ce parce qu'il est originaire de Maubray que Georges Vico reprend à la perfection le rôle créé par Edmond Roberte ? Luc Feron a, lui, endossé, avec beaucoup d'à propos, le rôle de Léonard Rivière dans "Sudisses et Nordisses" tandis que dans une brève apparition, Jean-Marc Foucart démontre, une fois encore, qu'il a une carrure et une sensibilité toute particulière pour interpréter les rôles... d'ecclésiastiques. L'illustration de la chanson "Dehors tra la la" (précisons que celle-ci n'était pas un sketch de la Revue) permit au spectateur d'encore mieux imaginer la scène rocambolesque qui se déroula à la prison de Tournai. Quant à Jean-Marc Foucart, Christian Bridoux, Bernard Clément, Vincent Brackelaere... déguisés en femmes, c'est un tableau final à ne pas manquer.
Le terme "figurants" n'est pas approprié pour ce genre de spectacle : Marie-Christine Degraeve, Nancy Deleuze, Christine Dubois, Céline Dufrasne, Monique Liard, ChristelleBridoux, Jade Braeckelaere et Jean-Michel Van de Cauter ... participent pleinement à la pièce et leurs répliques et jeux de scène y apportent du piment. Pour arriver à un tel résultat, on sent les conseils d'un pro de la mise en scène, Xavier Sourdeau (alias la clown Cassonate) a imprimé sa marque à cette troupe d'amateurs dans le sens le plus noble du terme.
La tradition est respectée et le cabaret se termine toujours avec ces chansons écrites à la gloire de la cité des cinq clochers, ces hymnes locaux qui mettent l'cœur in fiête : "Mon Cœur est Rouge et Blanc" et les "Tournaisiens sont là". Minuit est sonné depuis bien longtemps lorsqu'on quitte enfin le théâtre, la tête remplie de ces répliques devenues cultes et le cœur joyeux d'avoir assisté à un de ces trop rares spectacles où la bonne humeur est omniprésente. Il faut dire que les auteurs de théâtre sont tellement sinistres et les directeurs de théâtre tellement tristes à notre époque qu'Eloi Baudimont et Albert Coens doivent se "délaminter" (lamenter) là-haut.
(S.T. septembre 2015)